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© Alain Leprince

Rencontre avec Bruno Gaudichon du musée La Piscine

Lieu emblématique de la ville de Roubaix à l’aura singulière, La Piscine est un joyau culturel, un lieu d’art. Bruno Gaudichon, conservateur du musée La Piscine depuis l’ouverture, nous ouvre les portes de son univers avec passion. Plongez au cœur de son métier, découvrez des anecdotes inédites et explorez les coulisses d’un lieu fascinant.

En quoi consiste votre rôle de conservateur du musée La Piscine ?

Bruno Gaudichon, conservateur du musée La Piscine
© Mélanie Martin

Comme le titre l’indique, mon rôle principal est de conserver les œuvres. La spécificité du musée La Piscine par rapport à d’autres espaces culturels, c’est justement la présence d’un patrimoine à conserver, à protéger et à montrer. Ce que je prends plaisir à faire. Je me charge également de l’organisation d’expositions temporaires, de l’enrichissement du patrimoine en essayant de réaliser de nouvelles acquisitions, d’obtenir des dons et de gérer une équipe – il s’agit, en l’occurrence, d’une centaine de personnes.

Qu'est-ce qui vous passionne le plus dans ce métier ?

Toutes les facettes du métier me conviennent parfaitement. Chaque nouvelle aventure liée aux collections ou aux expositions temporaires est très stimulante et passionnante. Si je ne devais choisir que deux aspects, ce serait l’humain et le professionnel. J’aime beaucoup le travail en équipe et j’ai la chance de collaborer avec des personnes chaleureuses et sympathiques.

Histoire du musée La Piscine

Le musée de Roubaix a une histoire mouvementée. Créé en 1835 par des manufacturiers, le musée industriel de Roubaix est exclusivement consacré au textile. On y trouve des fonds d’échantillons de leur production textile à des fins de protection commerciale et industrielle. En 1861, une section artistique s’ajoute grâce à l’accord de la municipalité. En 1889, les collections sont transférées à l’École Nationale Supérieure des Arts et Industries Textiles (ENSAIT) et, sous la tutelle de l’État, le musée devient le musée national de Roubaix.

Un nouvel établissement municipal voit le jour en 1924 au rez-de-chaussée de l’Hôtel de ville : le musée Weerts. Le musée national ferme ses portes au début de la Seconde Guerre mondiale : les collections sont abandonnées sur place. Quant au musée municipal autour de l’œuvre de Weerts, il suit le même destin au début des années 80. À cette époque, Roubaix était la seule ville française de plus de 100 000 habitants à ne plus avoir de musée. Il faut attendre le début des années 90 pour que l’idée d’un nouveau musée fasse son chemin.

Pouvez-vous nous raconter la naissance du musée La Piscine ?

L’histoire passionnante de ce trésor culturel remonte aux prémices des années 90 lorsqu’un site abandonné a été transformé en une oasis artistique unique en son genre. L’idée d’ouvrir un nouveau musée commençait à germer. Les collections, dispersées jusqu’alors, sont rassemblées afin de donner vie à un espace de préfiguration à l’Hôtel de ville, comme une sorte de laboratoire. L’objectif était de déterminer si une ville comme Roubaix, malgré les défis qui lui sont propres, pouvait faire vivre un musée.

Le point de départ d’une réflexion sur la création d’un musée différent, ancré dans la réalité sociale et historique de la ville. Nous avons rapidement fait le choix de réinstaller le musée en « version XL » dans l’ancienne piscine municipale fermée depuis 1985. Cet édifice exceptionnel de style Art déco était déjà très intégré dans le quotidien des Roubaisiens. Notre intention était de leur offrir un accès familier, en ouvrant des portes qu’ils connaissaient déjà et qui ne constituaient pas d’obstacles pour se rendre au musée. Mêlant habilement art et patrimoine depuis 2001, La Piscine accueille aujourd’hui entre 250 000 et 300 000 visiteurs par an. Les équipes réalisent un superbe travail auprès des jeunes publics qui représentent 60 000 entrées chaque année…

Quelle est la première exposition que vous y avez organisée ?

Il est difficile de répondre avec une seule exposition. À l’aube du projet, nous avons orchestré une série de visites du site afin de présenter le projet aux habitants. Ces moments privilégiés ont eu lieu de manière récurrente suivant l’avancée des travaux. Pour la première de ces ouvertures en 1994, nous avons exposé les grands totems et les sculptures textiles de Nicole Vignote dans la piscine encore intacte. Puis, en octobre 2001, à l’occasion de l’ouverture officielle du musée, nous avions choisi d’honorer la mémoire de Francis Jourdain. À la fois peintre et décorateur, le fondateur du Secours populaire français rayonnait en tant que figure humaniste emblématique.

Quel est votre meilleur souvenir en tant que conservateur du musée La Piscine ?

Salle musée La Piscine
© Alain Leprince

Au sein de mon parcours, un souvenir fondateur qui m’enchante toujours : c’était à l’automne 1989, lorsqu’une invitation de Michel Skalecki, alors directeur de la culture de Roubaix, m’a conduit à découvrir ce site abandonné. L’étrangeté de ce lieu, encore majestueux et déjà presque en ruines, m’a captivé. La présence des équipes qui l’avaient fait vivre les dernières années de fonctionnement sportif était palpable. Avec le recul, c’est dans cette double rencontre, esthétique et humaine, que l’aventure a tissé ses premiers fils pour moi.

Pouvez-vous nous partager un moment particulièrement émouvant ou inspirant que vous avez vécu en y travaillant ?

L a réalisation des travaux d’aménagement du musée s’est étalée sur une période plus longue que prévue. Lors de la dernière année, nous avions fixé une date d’ouverture que nous nous sommes engagés à maintenir coûte que coûte. Cet engagement nous a poussés à jongler entre la surveillance constante de l’avancée des travaux et la mise en place des collections ainsi que des expositions temporaires. J’ai été profondément touché, dès cette période complexe, par la disponibilité et l’engagement des équipes que nous venions de recruter pour l’ouverture et qui ont pris le challenge à bras-le-corps. Les accrochages d’œuvres se sont enchaînés jour après jour, jusqu’au cœur de la nuit. Jamais je n’ai eu besoin de demander qui serait à mes côtés.

Chaque séance est pour moi le souvenir d’une complicité naissante avec celles et ceux qui ont fait la réputation du musée depuis plus de vingt ans. C’est toujours magique de pouvoir compter ainsi sur une équipe qui prend ses responsabilités.

Quelle est votre pièce ou salle coup de cœur du musée ?

Ce que je peux dire c’est qu’au bout de ces années, quand je rentre dans le bassin, même si l’effet de surprise n’est plus le même qu’au début, il y a quand même un émerveillement qui est quasiment systématique en fonction de la lumière à l’extérieur et des visiteurs présents. Le bassin incarne l’essence même du musée La Piscine, emblématique tant dans son image que dans son attrait. Mon choix se porterait sur cette salle.

Y a-t-il une œuvre que vous aimeriez voir intégrer La Piscine de façon permanente ?

Sculpture La Petite Châtelaine de Camille Claudel
© Alain Leprince

Il y en a des centaines ! Les entrées dans les collections du musée sont souvent des opportunités, ce sont des œuvres proposées sur le marché ou offertes en don, on avise selon les budgets disponibles. Ce musée s’enrichit constamment. Des objets qui pourraient paraître très prosaïques, très simples, mais qui pour nous racontent un pan de l’histoire de la ville sont presque aussi importants qu’une œuvre d’art à portée universelle.

Ce musée, plus qu’une succession de chefs-d’œuvre, c’est une histoire qui se raconte. Bien sûr, il y a des points forts dans les collections qu’on aimerait conforter. Notre superbe ensemble de Camille Claudel, constitué depuis le milieu des années 90, en est un exemple. Ces œuvres s’intègrent bien dans la collection et de nouvelles acquisitions renforceraient un point fort, ça serait parfait. Et puis les visiteurs sont toujours heureux de voir les œuvres de cette artiste bien que je puisse en citer tant d’autres.

À l'été 2023, on pouvait découvrir les univers de René Iché, JonOne, Guernica... Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans la création d'une nouvelle exposition en tant que conservateur du musée La Piscine ?

Guernica, Jean Lasne, peinture
Guernica, Jean Lasne © Alain Leprince

L a création d’expositions est une aventure humaine avant tout. Vous rencontrez l’artiste s’il est encore en vie, ce qui est le cas actuellement avec JonOne et son équipe. À la fin d’une exposition, il reste les gens rencontrés pendant la préparation et la réalisation. C’est toujours quelque chose de très fort. On est heureux de pouvoir recommencer avec certaines personnes avec lesquelles on a pris tant de plaisir à monter une expo. Cet automne, le musée présentera sa 4ème exposition de Marc Chagall. Toutes très différentes, chacune tente de renouveler la lecture de son œuvre. La relation avec la famille Chagall, nouée depuis une vingtaine d’années avec La Piscine, est pour moi très forte et joue beaucoup dans le fait de réaliser de nouveaux projets avec cet artiste.

Quand on fait venir la Petite Danseuse de 14 ans de Degas à La Piscine, c’est une revanche sur le sort pour la ville. Les enfants de Roubaix peuvent admirer cette œuvre d’art iconique connue dans le monde entier. C’est aussi l’opportunité d’offrir des rencontres avec des artistes, pas forcément connus mais qui créent des émotions et des grandes figures – on a fait trois expositions Picasso, Marc Chagall, Degas, Camille Claudel, le prestige de ces expositions fait partie des recettes du succès du musée. C’est toujours pour nous un plaisir de voir dans les yeux des visiteurs le bonheur de les avoir « à la maison ».

Quelles exposition rêvez-vous d'organiser ?

Difficile à dire. C’est toujours un peu la prochaine ou la dernière. Il y avait une exposition qu’on a essayé de monter, sans succès, peut-être qu’un jour cela se réalisera. C’est une exposition sur les piscines de David Hockney qui aurait, ici, un sens particulier. Par moment, on a des rêves un peu trop hauts. Mes pensées se tournent vers les expositions prévues à la rentrée : Marc Chagall dans une relecture neuve, présenter Georges Arditi, un peintre magnifique que peu de monde connaît, les céramiques de Fanny Bouyagui ou encore la peinture magnifique et si émouvante de Marc Ronet à découvrir à l’automne.

Récemment, le musée a bénéficié d’une importante donation faite par un couple de collectionneurs. J’ai hâte de voir cette collection installée car c’est le passage de l’intime d’un appartement à la présentation de plus de 300 œuvres dans la grande salle. Je pense que ce sera, pour les collectionneurs et pour nous, un très grand moment.

Qu'imaginez-vous pour le musée La Piscine ces prochaines années ?

Pour ma part, je serais parti dans un an, même un peu moins maintenant. Je souhaite le meilleur à l’équipe, à la fois celle déjà en place et celle qui sera aux manettes dans un an. Je souhaite un vrai renouvellement de l’enthousiasme et des projets et puis que vienne le temps de projets qu’on porte depuis quelques années. Nous souhaitons un deuxième agrandissement du musée totalement consacré à la question des arts appliqués, notamment autour du textile. Il serait un ancrage supplémentaire du musée dans l’histoire, l’identité de la ville de Roubaix en faisant intervenir des artistes, des créateurs contemporains pour insuffler cette dynamique textile qui, je pense, ne demande qu’à repartir.

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