Sauver un patrimoine de l’abandon, assurer son continuum, en lui contant une nouvelle histoire, réponse à son changement de destination… Depuis plusieurs années, les promoteurs et architectes ont fait de la tendance immo de la réhabilitation immobilière de bâtiments anciens, une noble mission à l’heure de la transition écologique. Quelques-uns de ces fleurons chargés d’Histoire ont déjà entamé leur nouveau chapitre. D’autres encore, s’y préparent.
Réhabiliter sans dénaturer le patrimoine architecturale

Le patrimoine bâti symbolise les racines d’une ville, forge l’identité d’une société. Tel un miroir, son architecture porte en elle les évolutions culturelles marquées par les époques. Tel un livre, il nous invite à une ou plusieurs lectures de son histoire. Préservés dans leur état matériel d’origine, certains tènements industriels sont voués à disparaître dans une relative indifférence. Puis il y a les autres. Ceux auxquels on dénote une valeur architecturale forte. Dans ce contexte, l’art de sauvegarder ou de réhabiliter a pour but de répondre à ce devoir de mémoire, en écho au « Com’era, Dov’era » vénitien (comme il était, où il était).
La solution d’une réhabilitation complète suppose donc de respecter le caractère architectural d’un bâtiment : préservation de son cachet, conserver et révéler les qualités esthétiques ou historiques intrinsèques. Celles qui traduisent des marqueurs identitaires et spatiaux. Ainsi, au nom de l’esthétique et de l’Histoire, il est des éléments architecturaux érigés qui suffisent à légitimer un bâtiment. À cet argument identitaire fondamental, se joint celui du potentiel économique et touristique. L’exigence de la sobriété foncière, impulsée par la loi Climat et résilience, pousse les promoteurs immobiliers à multiplier les projets de réhabilitation. Les politiques locales s’appuient sur le patrimoine bâti pour attirer investisseurs, habitants et touristes.
Projet de protection du patrimoine
« Faites réparer ces beaux et graves édifices. Faites-les réparer avec soin, avec intelligence, avec sobriété […] Surtout que l’architecte-restaurateur soit frugal de ses propres imaginations ; qu’il étudie curieusement le caractère de chaque édifice, selon chaque siècle et chaque climat. Qu’il se pénètre de la ligne générale et de la ligne particulière du monument qu’on lui met entre les mains ; et qu’il sache habilement souder son génie au génie de l’architecte ancien. » Extrait du pamphlet Guerre aux démolisseurs par Victor Hugo, publié le 13 mars 1832 dans la Revue des Deux Mondes. Ici, l’auteur dénonce le vandalisme opéré sur l’architecture médiévale. Il réclame la mise en place d’une loi pour protéger le patrimoine. Si la notion de monument historique fait ses débuts sous la Révolution, il faudra cependant attendre 1913 pour qu’une loi consolide la protection des monuments historiques.
La rénovation des bâtiments : une opération de sauvetage

Il est des institutions qui jadis rayonnaient à travers la région et au-delà. C’étaient des châteaux industriels dont on ne soupçonnait guère la magnificence. Tombés en désuétude, rendus à l’état de friche, subissant les affres du temps, nombreux ont été promis à la démolition. Puis sauvés de la destruction. D’un patrimoine en péril, ils sont passés à un patrimoine en devenir, tels de précieux joyaux que l’on préserve. Au début des années 2000, la reconversion de l’ex-usine de filature Leblan-Lafont à Lille par les architectes Bernard Reichen et Philippe Robert – site désormais occupé par l’incubateur EuraTechnologies –, illustre le point de départ des réhabilitations industrielles. La prise de conscience de la valeur patrimoniale se confirme, et donne naissance à de multiples exports du recyclage urbain.
À l’échelle régionale, la reconversion de la brasserie Motte-Cordonnier à Armentières, érigée par l’architecte Marcel Forest, et la majestueuse réhabilitation des Grands Moulins de Paris à Marquette-lez-Lille – toutes deux portées par Histoire & Patrimoine, marque du groupe Altarea, sous la houlette du groupe Maes Architectes Urbanistes –, ont valeur d’exemple. Pour ces deux fleurons industriels laissés longtemps à l’abandon, une idée précise. Il aura fallu tenir compte de la volumétrie imposante des bâtiments, respecter leur configuration originelle, les inscrire dans une nouvelle époque. Pour l’architecte Hubert Maes, la pierre angulaire a été de : « ramener l’architecture à l’essentiel, en étudiant la géométrie du bâti, sa matière d’origine. La première mission étant de s’immiscer dans les lieux afin de s’imprégner de leur histoire pour pouvoir la révéler au mieux ».
Le charme de l'ancien séduit l'hôtellerie du luxe

Autrefois, lieux de culte ou de soins, ils ont basculé dans l’escarcelle du privé pour devenir des hôtels de luxe. En témoigne l’ancien hospice Gantois à Lille, construit au XVe siècle et classé, devenu L’Hermitage Gantois, un hôtel 5 étoiles, empreint d’élégance et de charme. Citons aussi l’hôtel Alliance, installé dans l’ancien Couvent des Minimes, lieu de prière au XVIIe siècle.
Autre reconversion spectaculaire, celle de l’ancien Hôpital Général du Hainaut à Valenciennes, construit sous Louis XV. Il fut ensuite métamorphosé en complexe hôtelier baptisé Royal Hainaut Spa & Resort Hôtel. Après sept ans de travaux, cette rénovation d’envergure, portée par la Ville de Valenciennes et la Financière Vauban, aura permis de sauver cet édifice classé au titre des monuments historiques en 1945.
Dictées par l’existant, ces transformations ont suivi le même schéma : valorisation de la beauté des façades et restructuration des aménagements intérieurs dans la continuité de leur expression architecturale et urbanistique.
Histoire et programme de réhabilitation immobilière

Au travers de chantiers exigeants, la maîtrise d’œuvre s’attache aujourd’hui à souligner le cachet du passé au présent. C’est le cas notamment pour la distillerie Claeyssens à Wambrechies. Classé au titre des monuments historiques depuis 1999, le site est en cours de réhabilitation. Il deviendra un lieu mixte, mêlant production de genièvre, restauration, coworking et logements. Validée par la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), la réhabilitation se fait dans le respect de l’architecture. Ici, l’ensemble des éléments d’origine classés seront conservés et remis en état. Comme la façade d’antan et sa teinte blanc cassé du XVIIe siècle, les vitres et poutres en bois de l’ancienne meunerie. « La cheminée d’époque, même si elle n’est pas classée ni utile sur le plan technique, sera elle aussi conservée parce qu’elle représente un pan de l’Histoire », souligne François Bisman, architecte patrimoine du projet.
Dans la même veine, la réhabilitation en cours de la maison Cuvelier & Fauvarque à Haubourdin, sous la conduite de l’architecte Luc Dehaene. Pour Sofim, maître d’ouvrage de ces opérations, il s’agit de faire perdurer la tradition et contribuer au rayonnement du territoire. Très attaché au patrimoine, le groupe compte déjà plusieurs références notables en matière de restauration et d’opérations de réhabilitation. Parmi les plus remarquables, celui de l’Hôtel d’Avelin à Lille. Construit par l’architecte Michel Lequeux en 1777, il est classé aux Monuments historiques depuis 1944. La façade, l’escalier en pierre, la cour pavée et autres éléments patrimoniaux et décoratifs ont été conservés et remis en valeur dans les règles de l’art.
En France, un immeuble peut recevoir par décision administrative le statut de monument historique en raison de son intérêt historique ou architectural.
Les cheminées, vestiges du passé industriel nordiste
En France, les cheminées d’usine, emblématiques témoins du passé industriel, font souvent l’objet d’un consensus en matière de conservation. Dans les Hauts-de-France, la moitié d’entre elles ont été détruites depuis les années 1970 pour des raisons techniques et sécuritaires. L’association Proscitec Patrimoines et Mémoires des Métiers a établi un recensement de ces cheminées, dénombrant 320 constructions intactes. Signe de fierté, quelques-unes sont aujourd’hui classées ou inscrites au titre des monuments historiques. Dans les projets de réhabilitation immobilière, elles sont souvent mises en valeur.
Les travaux ouvrent à de nouvelles opportunités économiques

Réparer plutôt que reconstruire, transformer pour réinvestir les lieux, assurer la pérennité d’une activité, garantir la sécurité des usagers… Le tout sans dénaturer l’aspect architectural. Depuis plusieurs années, les vestiges du passé se voient peu à peu réintégrés dans le tissu urbain local. Et pour cause : ils représentent des opportunités foncières intéressantes en zones déjà urbanisées.
C’est notamment le cas face à la raréfaction progressive des terrains disponibles sur le territoire, accentuée par l’objectif de sobriété foncière. En témoigne le projet Synésens à Lille, développé par le trio de promoteurs Sogeprom-Projectim, Oria Promotion et Loger Habitat – en lieu et place de l’ancien collège Jean Macé. Tombé en déshérence en 2008, le site s’apprête cette année à accueillir sa nouvelle vie : un ensemble immobilier mixte comprenant des logements, un béguinage, une micro-crèche, un hôtel, des commerces et des bureaux. Les architectes de l’agence BDAP et de Saison Menu ont travaillé pour créer une cohérence urbaine, conjuguant passé et modernité. Un bel exemple de sauvegarde du patrimoine local qui apporte une offre multifonctionnelle au quartier et contribue à son dynamisme.
Une gestion économe des ressources

La requalification des friches industrielles, par ses actes de dépollution, déconstruction et traitements spécifiques, présente des intérêts environnementaux et économiques. Qui plus est, lorsque le projet est associé à une démarche d’économie circulaire, privilégiant le réemploi et recyclage des matériaux. Implantés sur des terres déjà artificialisées, ces sites représentent un levier d’action puissant. Ils enrayent l’étalement urbain et répondent ainsi à l’objectif du Zéro artificialisation nette (ZAN). Aujourd’hui, la réhabilitation d’un site ne se limite plus seulement à redonner aux bâtisses leur lustre d’antan. Elle agit également en faveur de la protection de l’environnement, de la valorisation et de la renaturation des espaces naturels.
Signée par le groupe Capelli et Oscar Développement, la réalisation du domaine d’Hestia à Saint-André-lez-Lille constitue un exemple de recyclage urbain réussi. L’architecte de renommée internationale Jean-Michel Wilmotte s’est vu confier le projet en 2016. L’objectif était de transformer l’ancien centre hospitalier Ulysse-Trélat en un programme résidentiel d’envergure. Au total, 450 logements de standing au cœur d’un parc arboré de près de sept hectares. « Nous avons revisité l’architecture centenaire et plutôt austère du site, avec un vocabulaire contemporain, tout en respectant la mémoire du lieu », explique l’architecte. La traditionnelle brique rouge côtoie le béton lasuré, l’enduit lisse, le verre, ou encore le métal. L’aménagement paysager, quant à lui, a été particulièrement soigné à travers la valorisation de 300 plantations et essences. Au total, le domaine comptera plus de 600 arbres. Une réhabilitation immobilière comme on les aime, où l’arbre ne cache plus la forêt mais la dévoile.